Enseignants : trois biais cognitifs à déjouer

Par Publié le : 15 octobre 2024

Parmi les quelque 250 biais cognitifs identifiés, certains méritent d’être pris en considération dans le domaine éducatif. C’est le cas de l’effet Pygmalion, dont nous avons déjà traité, qui influence la relation entre enseignant et apprenant et qui peut avoir un impact significatif sur l’apprentissage. En voici trois particulièrement notables : le biais de l’angle mort de polarisation, l’effet de halo, et la malédiction de la connaissance.

Voir la paille dans l’œil du voisin et ne pas voir la poutre dans le sien

Également connu sous le nom de « tache aveugle », le biais de l’angle mort de polarisation fait référence à un phénomène visuel que nous connaissons tous : une zone de notre rétine ne contenant pas de photorécepteurs, ce qui nous rend aveugles à cette partie de notre champ de vision. Sur le plan cognitif, cela signifie que nous sommes plus aptes à percevoir l’influence des biais cognitifs chez les autres plutôt que chez nous-mêmes. En réalité, nous sommes tous sujets à ces biais.

Ce biais est souvent attribué à la valeur que nous accordons à l’information provenant de l’introspection (Pronin et Kugler, 2007). Ainsi, lorsque nous évaluons nos propres pensées, nous privilégions les informations internes plutôt que nos actions, tandis que, dans le jugement des autres, nous accordons plus de poids à leurs comportements qu’à leurs pensées, même si nous en sommes conscients. Ce phénomène, appelé « illusion de l’introspection », découle de notre besoin de préserver une image positive de nous-mêmes, ce qui complique l’acceptation de jugements irrationnels. De plus, les biais cognitifs agissent souvent de manière inconsciente, rendant l’introspection peu efficace pour les contrer (Pronin, 2008).

Dans le milieu de l’enseignement, le biais de l’angle mort de polarisation peut mener un enseignant à adopter vis-à-vis des apprenants une attitude allant dans le sens de certaines idées reçues qu’il ou elle sait pourtant fausses et qu’il ou elle n’appliquerait pas à sa propre personne. On peut, par exemple, penser à ces stéréotypes voulant que les garçons soient plus doués pour certains types d’apprentissages (mathématiques, sciences, sports, etc.) et les filles pour d’autres (lecture, écriture, sciences humaines, etc.); ou encore à ceux voulant que les personnes de certaines origines soient « naturellement » meilleures dans certaines matières, par exemple, les Asiatiques en mathématiques et en sciences.

Croire que l’habit fait le moine

Également désigné comme l’effet « de notoriété » ou « de contamination », l’effet de halo se manifeste lorsque l’on se forge une opinion globale d’une personne à partir d’une seule de ses caractéristiques. Si cette caractéristique est perçue positivement, on a tendance à considérer les autres attributs de la personne de manière similaire, et inversement si elle est perçue négativement. Cet effet influence non seulement notre perception des autres, mais également nos attentes à leur égard.

Un exemple typique de l’effet de halo est lié à l’apparence physique. Une étude réalisée dans les années 1970 auprès d’enseignants a révélé que ceux-ci avaient tendance à juger un enfant « beau » comme étant plus intelligent, plus susceptible de réussir et comme ayant des parents plus impliqués dans ses activités scolaires que ceux jugés moins attrayants (Clifford et Walster, 1973).

Corriger les travaux et examens implique en effet d’émettre un jugement sur les performances des apprenants (Durand et Chouinard, 2012) et tout jugement peut être biaisé (voir Les 3 vitesses de la pensée). Lorsque possible, comme solution on peut privilégier des corrections à l’aveugle en demandant aux apprenants d’identifier leurs travaux et examens par leur numéro de matricule plutôt que par leur nom. Notons que l’effet de halo peut aussi avoir pour source l’aspect de la présentation d’un travail. À moins que ce critère ne soit évalué, on peut réduire les risques de l’effet de halo dans un tel cas en demandant aux apprenants de présenter les travaux de manière uniforme.

Parler pour briller

Malgré son nom intrigant, la malédiction de la connaissance est un biais cognitif relativement simple à identifier… surtout chez les autres! Elle se traduit par la difficulté à se mettre à la place de quelqu’un qui ne possède pas les mêmes connaissances. Cette situation est souvent illustrée par des experts utilisant un jargon technique que le grand public ne comprend pas. La malédiction de la connaissance peut aussi entraîner des difficultés à appréhender les réalités des non-experts et à anticiper leurs réactions.

Plus on acquiert des connaissances dans un domaine, plus il est facile de tomber dans l’abstraction, à moins de faire un effort conscient pour rendre l’information accessible. Même si les enseignants sont formés à la vulgarisation, l’acte d’enseigner multiplie les risques de succomber à ce biais. De plus, des facteurs comme l’âge ou le niveau d’études des étudiants peuvent amener les enseignants à réduire leurs efforts de simplification, ce qui pourrait décourager certains apprenants — qui peuvent avoir l’impression qu’ils n’ont pas ce qu’il faut pour comprendre la matière ou même pour faire carrière dans ce domaine qui aurait pu les intéresser, mais qui leur paraît désormais hermétique et hors de portée.

Vu les effets malheureux que peut avoir ce biais cognitif sur le parcours des apprenants, tout enseignant doit être conscient qu’il peut, malgré sa formation de vulgarisateur, être lui aussi en proie à cette malédiction de la connaissance… Le savoir est un premier pas pour conjurer le mauvais sort!

Biais cognitif sous la loupe

Un biais cognitif est une forme de pensée qui semble découler d’un raisonnement logique, mais qui conduit à des analyses et jugements erronés. Ces raccourcis mentaux sont souvent inconscients et systématiques. Bien que nous puissions agir sur eux a posteriori, on ne peut empêcher le cerveau de les produire. La meilleure façon de les contrer est de reconnaître leur existence, de comprendre le fonctionnement de nos systèmes de pensée, et comme le souligne le chercheur en psychologie du développement et neuroscientifique Olivier Houdé, de développer notre « résistance cognitive » ou « d’apprendre à penser contre soi ». Pour en savoir davantage à ce sujet, consultez notre article Les 3 vitesses de la pensée.

À propos de l'auteur : Catherine Meilleur

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.

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