Pourquoi est-il important de donner une pause à son cerveau ?

Par Publié le : 15 octobre 2024

On connaît tous l’importance de bien s’alimenter et de faire de l’exercice physique, mais on est moins au fait de l’importance tout aussi capitale du repos pour notre bien-être. Les difficultés de concentration, la démotivation ou le vagabondage mental font souvent partie de notre quotidien. Pourtant, de nombreuses études ont démontré que le manque de repos et de périodes de déconnexion peut gravement affecter notre santé mentale et physique. Il ne suffit toutefois pas de vouloir se reposer pour que notre boîte à poux nous suive… En fait, connaître le modus operandi du cerveau est essentiel pour pouvoir espérer se reposer et récupérer intelligemment. Voici quelques notions qui vous aideront à renflouer vos ressources cognitives.

Le repos « stratégique » des athlètes

Le monde du sport accorde depuis longtemps une grande importance au repos, et nous devrions nous en inspirer. Un bon programme d’entraînement inclut des périodes de récupération planifiées par l’entraîneur pour optimiser les performances des athlètes. « La récupération, c’est très connu dans le sport, ce n’est pas à prendre à la légère. Ça fait partie de l’entraînement. Ce n’est pas “rien”. Le repos “est” stratégique », souligne le docteur en neuropsychologie Guillaume Dulude dans sa capsule vidéo Comment se reposer (réellement!). Ayant lui-même déjà été un nageur de haut niveau, il rappelle que « les athlètes qui ne sont pas capables de se reposer, même s’ils font moins de sport, ont tendance à ne pas être capables de récupérer à leur plein potentiel avant une compétition ».

Comprendre les modes « actif » et « au repos » du cerveau

Notre cerveau fonctionne sur deux grands modes, chacun correspondant à un réseau neuronal spécifique : le « réseau exécutif » et le « réseau par défaut » (RD), également appelé « réseau du mode par défaut » (RMD). Le premier est associé au mode actif du cerveau, tandis que le second correspond à son mode au repos.

On utilise le terme « réseaux », puisqu’il s’agit de réseaux de neurones impliquant des régions du cerveau qui peuvent être éloignées les unes des autres. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer les fondements de ce processus de va-et-vient entre les deux réseaux. Certains chercheurs avancent qu’il pourrait s’agir d’une stratégie d’économie d’énergie similaire à la mise en veille d’un ordinateur, alors que d’autres croient que ce serait plutôt une façon de maintenir l’activation minimale de certaines connexions neuronales pour éviter qu’elles disparaissent. D’autres chercheurs penchent plutôt pour l’idée que ce mécanisme pourrait nous aider à mieux faire face à toute éventualité.

Une machine cognitive parfois sursollicitée

Le réseau exécutif, situé dans le cortex préfrontal, gère nos fonctions cognitives les plus complexes, comme l’attention, la mémoire de travail, ainsi que nos capacités à planifier et à résoudre des problèmes. C’est ce réseau qui se met en branle lorsque nous nous engageons dans une activité cognitive précise. De concert avec lui s’active un autre réseau neuronal, le « système de détection d’erreurs », qui implique qui inclut des zones comme le cortex cingulaire antérieur, l’amygdale et l’insula. Ce système joue un rôle essentiel, entre autres, dans le traitement des émotions, qui sont indissociables de nos processus cognitifs.

Toutes ces régions cérébrales déploient au quotidien de l’énergie pour nous permettre d’atteindre nos objectifs. Notre mémoire de travail et notre système de détection d’erreurs sont particulièrement sollicités. Ce dernier doit sans cesse être aux aguets pour nous avertir lorsque nos stratégies semblent nous éloigner de nos buts. De plus, le fait de devoir jongler avec plusieurs objectifs censés être tous aussi prioritaires les uns que les autres met du sable dans l’engrenage de notre machine cognitive.

Passer la moitié de la journée « dans la lune »

Notre réseau exécutif est donc extrêmement sollicité, mais il est fréquent que nos pensées s’échappent, laissant place à des rêveries ou à du vagabondage mental. Selon une étude de l’Université Harvard, nous passons en moyenne 46,9 % de notre journée « dans la lune », un état qui correspond au mode du réseau par défaut du cerveau. Bien qu’il ne soit pas le seul réseau fonctionnel de l’état de repos, il est celui dont la consommation d’énergie est la plus importante et dont les connexions sont les plus fortes et les plus constantes.

Quand la concentration éloigne la fatigue

Lorsque nous sommes pleinement impliqués dans une activité, sans diviser notre attention, cela n’entraîne pas nécessairement de la fatigue, comme l’explique Jean-Philippe Lachaux, chercheur en neurosciences cognitives et spécialiste de l’attention : « En étant totalement impliqué dans ce qu’on fait, sans chercher à faire plusieurs choses en même temps, on réduit également les conflits dans le cerveau : il n’y a plus de doute sur ce qui est important et sur ce qui ne l’est pas. […] Il n’y a pas d’interférence négative entre des régions cérébrales impliquées dans des processus cognitifs qui se contredisent. Il s’ensuit donc un sentiment d’apaisement : ce que l’on appelle couramment la surcharge mentale diminue. » On peut ici faire un lien entre cet état d’engagement et l’état de flow (ou « flux » en français), soit « un état psychologique de profond bien-être, de concentration et de motivation intenses, qui est atteint lorsqu’une activité constitue un défi perçu comme étant égal ou légèrement supérieur aux habiletés que l’on possède ».

Rechercher les moments de flow

Le flow peut être atteint dans divers types d’activités, comme la cuisine, la lecture ou la musique, mais selon Mihaly Csikszentmihalyi, le psychologue à qui l’on doit ce concept, il existe une activité particulièrement adaptée à cet état : le yoga. « En fait, il est logique de penser au yoga comme une activité de flow très bien planifiée. Les deux tentent d’atteindre une implication joyeuse et détachée de soi par la concentration qui est à son tour rendue possible par une discipline du corps », explique-t-il dans son ouvrage phare, Flow : La psychologie de l’expérience optimale (1990).

Se prémunir du stress chronique

Dans nos vies modernes, le stress et l’anxiété sont souvent des obstacles à l’état de flow. Ces états peuvent interférer avec nos capacités cognitives, comme le souligne la neuroscientifique Sonia Lupien : « Face à un élément stressant, le corps produit des hormones de stress qui servent à combattre ou à fuir. Ces hormones s’acheminent vers le cerveau et ont une préférence marquée pour certaines régions impliquées dans l’apprentissage et la régulation des émotions. » Lorsqu’un événement perturbateur survient, toute l’attention d’un individu est captée par celui-ci, expliquent Lupien et sa collègue Françoise Maheu dans leur étude de 2003. Des recherches chez l’animal ont d’ailleurs démontré que le stress et l’anxiété peuvent aller jusqu’à bloquer le processus d’apprentissage.

De plus, comme le décrit Dominique Servant, psychiatre et psychothérapeute spécialisé en stress et anxiété, la fatigue fait partie « des premiers signes qui marquent une difficulté d’adaptation (conséquences négatives du stress), quand l’organisme ne peut plus “recharger les batteries” ». Cette sensation de fatigue mentale pourrait aussi être en partie attribuable à une baisse de divers neurotransmetteurs qui n’ont pas eu le temps d’être renouvelés.

Sonia Lupien recommande d’adopter au quotidien les micro-pauses cognitives, le temps que nos hormones de stress baissent. « Si j’ai de la difficulté à me concentrer, je me lève et je pars promener le chien, par exemple. La micro-pause cognitive est essentielle surtout en ces temps de stress », rappelle la chercheuse.

Tenir l’impuissance à distance

Lorsque le combat ou la fuite ne nous semblent pas envisageables, le sentiment d’impuissance nous guette. Dans sa capsule vidéo Comment se reposer et décrocher du boulot?, Guillaume Dulude nous avertit que d’ignorer la façon dont le cerveau se repose, « les règles » à respecter pour qu’il y parvienne, nous met à risque de ressentir cet état. « Quand on surutilise les mêmes systèmes et qu’on n’a donc pas de repos, on vit de l’impuissance », explique-t-il, en précisant que ce sentiment est l’un des plus grands générateurs d’émotions négatives chez les humains.

Ce sentiment d’impuissance peut affecter notre taux de cortisol, l’hormone du stress, ainsi que notre taux de sérotonine, neurotransmetteur essentiel pour la régulation des émotions positives, dont la capacité à faire des choix, à se montrer vigilant, à accomplir des tâches et à passer d’une tâche à l’autre efficacement ainsi qu’à décrocher. Alors qu’un sentiment d’impuissance élevé va de pair avec un taux de sérotonine inversement bas, le docteur en neuropsychologie rappelle qu’« on a besoin d’un pool (niveau) minimal de sérotonine dans le cerveau, principalement dans le lobe frontal et préfrontal, [soit] dans le centre exécutif […] ».

Attention à la rumination, même en vacances

L’étude de Harvard mentionnée précédemment rapportait que plus nous sommes dans la lune (en mode réseau par défaut), plus nous tendons à être malheureux, et qu’au contraire, plus nous sommes investis dans une activité, plus nous nous sentons satisfaits. Il n’est pas rare chez une personne en santé que ce réseau s’emballe plus que nécessaire, la faisant passer de la rêverie à la rumination, la mettant ainsi plus à risque de souffrir de troubles de l’attention, d’anxiété et de dépression.

Selon Jean-Philippe Lachaux, il faut même être vigilants à cet effet en vacances : « Il n’est pas forcément reposant d’être assis sur une plage ou face à un paysage de montagne, si l’on passe tout son temps perdu dans des scénarios passés ou à venir. […] En relâchant l’emprise sur notre emploi du temps et sur notre activité mentale, les vacances laissent donc plus de temps à ces moments de vide sans objectif précis. Cela peut être agréable, mais attention à ne pas tomber dans le piège de la rumination. »

Cultiver une évasion saine de l’esprit

En plus d’essayer de calmer l’activité de son réseau par défaut et de laisser son réseau exécutif renouveler ses neurotransmetteurs épuisés, il serait aussi judicieux de cultiver une saine évasion de l’esprit. « Il est de plus en plus évident que cette pensée non dirigée est cruciale pour consolider son identité et donner du sens à sa vie. Malheureusement, dans le train-train quotidien, nous sommes souvent trop occupés à accomplir une tâche après l’autre, ce qui nous empêche de nous laisser aller à ce que j’appelle une réflexion interne constructive », rappelle la neuroscientifique et psychologue Mary Helen Immordino-Yang (2012) dans l’article « Le cerveau aussi a besoin de vacances » du Québec Science. D’après elle, la flexibilité du cerveau à passer du mode exécutif au mode par défaut et vice-versa, ainsi que la robustesse des connexions du réseau par défaut seraient liées notamment à un plus grand sentiment de bien-être. Idéalement, dans nos moments de repos nous devrions aussi nous permettre de nous laisser aller à des réflexions plus profondes et constructives sur nous-mêmes.

La méditation comme solution

Il est pour la plupart d’entre nous possible de préserver son réseau par défaut de la surchauffe. Des études ont en effet montré que la méditation, notamment de type pleine conscience, cette forme de méditation où l’on se concentre sur sa respiration et son état intérieur, peut diminuer l’activité dans le réseau par défaut (Garrison et al., 2015), renforcer ses connexions (Zeidan et al., 2010) de même que favoriser les fonctions exécutives et l’attention soutenue (Valentine et Sweet, 2007 ; Zeidan et al., 2010). Les bienfaits pourraient se faire sentir rapidement, après quelques semaines, voire quelques jours seulement de pratique.

Néanmoins, à trop vouloir chasser ses pensées, elles risquent au contraire de nous envahir encore plus. « Il ne s’agit pas de bloquer les pensées et de faire le vide… ça ne marche pas! », affirme le moine bouddhiste Matthieu Ricard, qui médite depuis des décennies et collabore à la recherche en neurosciences sur les effets de la méditation sur le cerveau et la santé. Dans le cas de la pratique méditative, la bonne posture réside plutôt selon lui à « laisser passer les pensées comme des oiseaux qui traversent le ciel ». Facile à dire, beaucoup moins à faire! Avec de la pratique, tous les espoirs sont permis, puisque le cerveau, à tout âge, a cette faculté de se modifier à la suite de nouveaux apprentissages que l’on appelle la « neuroplasticité ».

Les activités mentales intermédiaires

Outre l’idée d’intégrer la méditation à son hygiène de vie, nous aurions intérêt à respecter certains critères lorsque vient le temps de choisir une activité en vacances. « N’avoir qu’une chose à faire et une seule, dans un délai raisonnable et sans focali­sation excessive sur notre performance », c’est ce que recommande Jean-Philippe Lachaux. Il suggère de se tourner vers un type d’activité mentale qu’il qualifie d’« intermédiaire » comme les sudoku, les mots croisés, les simples balades, le coloriage et les autres loisirs créatifs. « Bien sûr, l’esprit s’évade parfois dans des pensées, mais il est régulièrement ramené à sa tâche principale. Les vacances sont alors l’occasion de ne se donner à faire qu’une chose à la fois, sans obligation de résultat et c’est peut-être là leur secret. Un cerveau au repos n’est pas tant un cerveau inactif (c’est impossible), qu’un cerveau totalement impliqué dans son activité du moment, sans autre perspective », ajoute Lachaux.

Pour récupérer, solliciter un autre système

Selon Guillaume Dulude, pour qu’un cerveau puisse vraiment récupérer, l’activité choisie doit sortir nous sortir de nos habitudes et être planifiée. « Dans une stratégie de repos, de vacances, il faut “stratégiquement” faire en sorte qu’on ne sollicitera pas les mêmes structures cognitives, les mêmes réflexes, les mêmes systèmes de pensée, les mêmes habitudes qu’on utilise normalement lorsqu’on travaille, lorsqu’on dépense de l’énergie », explique Dulude.

Avoir une approche stratégique

Si Guillaume Dulude insiste sur l’importance d’une approche stratégique, c’est que sans un effort conscient et planifié de notre part pour sortir de notre zone de confort, le cerveau tend à reproduire les comportements qu’il connaît bien et qui lui ont valu une récompense, soit un renforcement dopaminergique. « Ce n’est pas si simple, parce que le cerveau aime ça, il est habitué d’aller chercher sa dopamine d’une certaine façon et souvent quand on tombe en vacances officiellement, on a le goût de faire les mêmes choses que lorsqu’on n’est pas en vacances », avertit le docteur en neuropsychologie.

Reconnaître les activités passives

Attention! Aller prendre un verre, manger au resto ou sortir au cinéma ne fonctionne pas, puisque ces activités sont passives prévient Dulude, en précisant que c’est aussi l’une des raisons pour lesquelles les activités que nous privilégions souvent en vacances ne sont pas celles qui procurent le repos le plus efficace. « Tout ce qui est passif ou exogène ne marche pas. Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire; je dis juste que le cerveau ne relaxera pas de la même façon, parce que c’est trop facile “de la consommation”. Donc tout ce qui est consommation, c’est-à-dire un renforcement externe, tout ce qui est psychotrope, va donner un repos superficiel à court terme, mais ne va pas recharger. Il n’y aura pas eu assez de profondeur dans le fait que le cerveau s’est désactivé dans une tâche », explique-t-il. Il faut donc privilégier des activités qui demandent une réelle implication personnelle.

Développer sa palette d’intérêts

Faire en sorte que notre cerveau se recharge nous demande paradoxalement un effort; effort qui peut représenter tout un défi pour ceux qui tendent à s’investir dans une seule activité — souvent leur activité professionnelle. Ce qui incite Dulude à nous recommander, dans une approche stratégique globale de repos et de mode de vie sain, de voir aussi à diversifier nos intérêts : « Pour moi, c’est un thème central. Les gens qui, pour différentes raisons, ont investi dans peu de domaines dans leur vie, qui sont extrêmement bons dans quelque chose, mais qui ont peu de diversification, donc qui peuvent donner beaucoup d’énergie dans un seul domaine, mais quand la pile est brûlée, elle est “brûlée”… c’est très long avant de se recharger. On en voit beaucoup en consultation. »

Nouveauté et apprentissage

Pour ceux que rebute l’idée de devoir sortir de leur zone de confort pour arriver à se reposer, le docteur en neuropsychologie propose d’y aller graduellement, la meilleure stratégie étant selon lui d’explorer des activités qui ont déjà pu nous tenter, mais que nous n’avons pas encore eu la chance d’essayer; d’entrevoir cette perspective comme un cadeau, une occasion de tenter quelque chose de nouveau. « Le cerveau adore ça : la nouveauté et l’apprentissage, c’est la meilleure stratégie de ressourcement qui existe! », conclut Guillaume Dulude.

À propos de l'auteur : Catherine Meilleur

Catherine Meilleur possède plus de 15 ans d’expérience en recherche et en rédaction. Ayant travaillé comme journaliste, vulgarisatrice scientifique et conceptrice pédagogique, elle s’intéresse à tout ce qui touche l’apprentissage : de la psychopédagogie aux neurosciences, en passant par les dernières innovations qui peuvent servir les apprenants, telles que la réalité virtuelle et augmentée. Elle se passionne aussi pour les questions liées à l’avenir de l’éducation à l’heure où se pointe une véritable révolution, propulsée par le numérique et l’intelligence artificielle.

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